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D'une Nuit l'Autre


Edouard Manet - 1832-1883

" L'ouvrage inspiré par mes cendres et destiné à mes cendres subsistera-t-il après moi ? Il est possible que mon travail soit mauvais ; il est possible qu'en voyant le jour ces Mémoires s'effacent : du moins les choses que je me serai racontées auront servi à tromper l'ennui de ces dernières heures dont personne ne veut et dont on ne sait que faire. Au bout de la vie est un âge amer : rien ne plaît, parce qu'on n'est digne de rien ; bon à personne, fardeau à tous, près de son dernier gîte, on n'a qu'un pas à faire pour y atteindre : à quoi servirait de rêver sur une plage déserte ? quelles aimables ombres apercevrait-on dans l'avenir ? Fi des nuages qui volent maintenant sur ma tête ! " (1)

" C'était un pays d'orages. Ils s'approchaient d'abord sans bruit, annoncés par le bref passage sans bruit, annoncés par le bref passage d'un vent qui rampait dans l'herbe, ou par une série d'illuminations soudaines de l'horizon ; puis déchaînaient le tonnerre et la foudre, qui alors nous canonnaient longtemps, et de toutes parts, comme dans une forteresse assiégée. Une seule fois, la nuit, j'ai vu tomber la foudre près de moi, dehors : on ne peut même pas voir où elle a frappé ; tout le paysage est également illuminé, pour un instant surprenant. Rien dans l'art ne m'a paru donner cette impression de l'éclat sans retour, excepté la prose de Lautréamont a employée dans l'exposé programmatique qu'il a appelé Poésies. Mais rien d'autre : ni la page blanche de Mallarmé, ni le carré blanc sur fond blanc de Malevitch, et même pas les derniers tableaux de Goya, où le noir envahit tout, comme saturne ronge ses enfants. " (2)

" Si quelque chose lui nuit, il devine le remède ; il fait tourner la mauvaise fortune à son profit ; tout ce qui ne le tue pas le rend plus fort. Il fait instinctivement son miel de tout ce qu'il voit, entend et vit ; il est un principe de sélection, il laisse tomber bien des choses. Les hommes, les livres, les paysages ne l'empêchent pas de rester toujours en sa propre société : il honore en choisissant, en acceptant, en faisant confiance. Il ne réagit aux excitations de tout ordre qu'avec cette lenteur qu'il tient de ses disciplines : une longue circonspection et une fierté voulue. Il ne croit ni à la " malchance " ni à la " faute " ; il sait venir à bout de lui-même et des autres, il sait oublier, il est assez fort pour obliger tout à tourner à son profit. " (3)

" La nuit parfois... " mille livres, mille fleurs, mille musiques s'invitent, se percutent, s'enflamment, me retournent et me détournent, mille sensations qui le jour se sont cristallisées sur ma peau ; " la peau seule ! " disait-elle, elle n'avait pas tort, mais la nuit nos peaux s'abandonnent à la nuit et aux ténèbres ; " vous craignez la nuit ? " me demanda-t-elle, me voyant éveillé, et devinant mon regard fixant la fenêtre qu'éclairaient des éclats provenant d'une autre chambre allumée, qui s'ouvrait sur la cour commune de cet ensemble où devaient vivre au moins trois solitaires aux sexes inconnus, qui eux aussi, la nuit parfois, se levaient pour l'interroger ; il préférait, pense-t-il, rester dans le noir, et le silence, elle finira bien par se rendormir, se dit-il, elles finissent toujours pas se rendormir ; " la nuit parfois... " il n'avait rien à penser, rien à entendre, rien à voir, rien à sentir, se contentant d'attendre qu'elle laisse au jour sa place, on n'ouvre jamais deux fois les jeux sur un même soleil.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Récapitulation de ma vie / Livre XLIII / Chapitre 17 / Mémoires d'outre-tombe / François-René de Chateaubriand / Quarto / Gallimard
(2) Panégyrique / Guy Debord / Tome Premier / Éditions Gérard Lébovici / 1989
(3) Ecce Homo / Friedrich Nietzsche / traduc. Alexandre Vialatte / 10-18

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